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Conception par Alinoa.

Elina BROTHERUS

Elina BROTHERUS

© Elina Brotherus

 

Née en 1972 à Helsinki (FIN).
Vit et travaille en Finlande et en France.
Site personnel : www.elinabrotherus.com
Site de la galerie : www.gbagency.fr

 

On peut légitimement se demander s'il est suffisant, pour atteindre à quelque chose, de construire de belles images moroses de soi-même et de ses peines. Ce n'est évidemment pas suffisant. Il doit y avoir plus et ce plus existe puissamment et bat à la surface des photographies d'Elina Brotherus. Je pourrais choisir parmi divers sentiments tels le dégoût, l'insécurité, la peur, la folie, la solitude ou la tristesse mais je vais opter pour la solitude uniquement et spécialement la solitude lorsqu'elle est au bord du gouffre.

Avez-vous jamais essayé de vous prendre en photo de telle sorte que l'image vous dépeint directement, sans aucune pitié, ni esthétisation quelconque, juste dans un état incandescent de solitude ?  Hum, je ne sais pas vous... mais je sais par contre, et je vois, qu'Elina Brotherus le fait et le fait à répétition et de façon cohérente.   

Ce qu'on trouve dans ses photos, c'est une cargaison d'émotions qui, je pense, n'ont pas besoin d'être dites avec des mots. Qu'en est-il du contexte, de l'histoire personnelle derrière l'image ? Dois-je vous en dire un mot ? Non. Au risque de me répéter : solitude fondamentale. On peut deviner les problèmes personnels comme un mariage brisé, un amour perdu, etc. Il y a là, à n'en pas douter, un malheur exigeant et entêtant. Une sorte de tristesse solitaire qui remplit le vide sans demander la permission, sans négocier, brutalement. Qui confisque et remplit chaque recoin de l'espace, chaque seconde et chaque minuscule particule de l'air qu'on respire. Une solitude qui régit et sature les espaces vides comme le vent, comme un phénomène naturel.  

Mais à ce point, il est fondamental de se demander qui raconte l'histoire, qui parle et qui regarde et pour qui. Qui a le pouvoir de décider et de définir ? Je soutiendrais qu'Elina Brotherus utilise l'autoportrait comme un moyen de regarder. Elle se regarde elle-même mais pas seulement, sinon ce serait alors simplement du narcissisme ennuyeux. Elle se regarde, certes, mais elle regarde aussi sa relation propre à elle-même et à son environnement. Là encore, si elle y prenait le moindre plaisir, cela régresserait vers un nombrilisme décevant. Mais, non, elle ne s'amuse pas, même si ce n'est personne d'autre qu'elle qui tire les ficelles et s'est jetée dans l'arène. Elle existe à travers l'œil de l'appareil pour donner forme et faire exister un espace et un temps où elle se trouve être pleinement, même si ce n'est que momentanément.

Par conséquent, elle ne regarde pas vraiment le spectateur. Elle regarde à mon sens bien plus loin, au-delà de l'appareil photo et du spectateur. Ce n'est plus elle qui est là et il n'est plus important de savoir si elle a divorcé ou dans quels dilemmes elle se trouve. Ces détails peuvent valoir comme simple point de départ. L'histoire doit certes commencer quelque part, elle doit bien être ancrée dans un certain cadre personnel et une certaine version de la réalité. Le choix d'Elina Brotherus est clair : ce sera elle-même.

Il y a au moins deux raisons qui expliquent pourquoi ses photographies sont tellement porteuses de sens et éloquentes. La première est liée aux images auxquelles nous sommes confrontés chaque jour. Quand tombe-t-on sur une image montrant une personne qui, de manière évidente, est profondément malheureuse mais qui n'est aucunement présentée comme une victime, qui est au contraire dans le contrôle ? Elina Brotherus a décidé de montrer toute l'étendue de sa confusion et de sa terreur. Essayez de faire de même, mais ne revenez pas sur votre décision en disant que c'est trop difficile. Bien sûr, c'est difficile.
La deuxième raison est encore plus importante. Elina Brotherus a le courage, image après image, de s'affronter et de se confronter à ces sentiments et à ces émotions que notre imagerie contemporaine déteste et interdit même parfois. Et il faut noter qu'elle sort vainqueur de ce combat, qu'elle n'esquive aucunement, bien au contraire, la solitude, la tristesse et la peur, toutes ces choses que l'on connaît et ressentons mais avec lesquelles nous avons tant de mal. Elle ne fait pas cela avec légèreté. Je suis convaincue qu'elle n'a pas le choix que de reprendre tout cela encore et encore. Les résultats ne sont pas nécessairement plus authentiques ou réels mais ils sont extrêmement convaincants.

Elina Brotherus. Elle est là. Blessée mais en éveil – dans les images. Regarder ces photographies fait résonner un ultimatum : rester ou disparaître, prendre ou laisser. Et pour ma part, je prends, j'essaye la confrontation avec ces émotions qui blessent, qui brûlent, qui mordent – et qui guérissent aussi, peut-être.

(Traduction partielle de l'article de Mika Hannula, « A Girl Who Looked Past and Beyond the Camera », publié dans Norden/North, Contemporary art from Northern Europe, exhibition catalogue, Kunsthalle Wien, May 2000.

Elina Brotherus est l'une des figures majeures de la nouvelle photographie finlandaise. Née en 1972, elle poursuit un travail d'une très grande cohérence. Scientifique de formation, elle obtient une maîtrise en chimie à l'Université d'Helsinki. Parallèlement, elle étudie la photographie. Elle a dernièrement fait l'objet de nombreuses expositions monographiques parmi lesquelles on retiendra celles du Bloomberg Space à Londres, du Finnish Museum of Photography à Helsinki, du Musée Nicéphore Nièpce à Chalôn-sur-Saône ainsi qu'au National Art Centre à Tokyo. Elle pratique également la vidéo.
La série présentée, sans être une œuvre de jeunesse, s'est clôturée tôt, en 1999. Mais elle a véritablement servi de tremplin à l'artiste pour développer ses séries suivantes, comme si cette première option mélancolique et autobiographique contenait en germes tous les développements futurs de sa création (on pense notamment aux questions du paysage et du modèle, qui vont l'occuper durant toutes les années 2000).  
La série "Das Mädchen sprach von Liebe" est accompagnée d'un travail plus intimiste, Brotherus Tyto, réalisé durant la même période et qui couvre l'événement de l'accouchement d'une amie très proche.   
                                                            AFL

BROTHERUS TYTTÖ (Brotherus, fille)
 
"Mon amie Hanna Brotherus, qui est danseuse et chorégraphe, a trois fils. En automne 2002, Hanna m'a demandée d'être là lors de la naissance de son quatrième enfant. Elle m'expliquait qu'elle ne se souvenait pas très bien des accouchements précédents et qu'elle aimerait avoir un souvenir durable de cette question importante dans sa vie. Le titre de la série de photographies et de la vidéo tournée l'été suivant fait référence au fait que, pour la première fois, il n'était pas écrit "Brotherus, garçon" sur le berceau du bébé à la clinique. (N.B. le mot finnois "tyttö" signifie "fille". C'est l'habitude dans les maternités finnoises de noter sur le berceau le nom de famille ainsi que le sexe du bébé.)

Nous avons passés toute la nuit à la clinique. A part Hanna et son mari, il y avait moi et une autre amie et les sages-femmes, qui de temps en temps passaient leurs têtes par la porte pour dire : "Sonnez si vous avez besoin de quelque chose, d'accord?" Hanna se souvient : "C'était une nuit merveilleuse parce que nous nous sommes vraiment amusés, et en même temps c'était horrible." Nous avons tous pleurés. Je pense que Hanna m'a fait un énorme cadeau en m'emmenant. Pour moi, cette nuit est une des plus belles expériences d'amour.

La vidéo raconte la même histoire avec le langage du théâtre. La danseuse avance, et quand la chorégraphie étudiée se termine, elle fait un pas vers la forêt, l'inconnu. C'est là qu'elle rencontre le nouvel enfant. C'est le chemin de la mère vers sa fille, une fille qui a vu le jour malgré tous les obstacles."


Elina Brotherus
Helsinki, August 2004

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